Cecilia de Montalembert, qui vit au château de Lassay (situé en Mayenne, entre la Bretagne et la Normandie), avec son mari, a gentiment accepté de répondre à nos questions. Découvrez son interview.

Quel est le lien entre votre famille et le château de Lassay?

Mon mari a toujours vécu dans l’intimité des pierres de Lassay, la forteresse étant dans sa famille depuis la restauration (1823). De même, nos trois enfants sont imprégnés depuis leur naissance par l’atmosphère de ces lieux qu’ils ont toujours fréquentés. Nous n’avons cependant repris la maison qu’en 2014, à la suite d’un partage familial.

Quelle est l’histoire de ce château? Quels sont les principaux faits historiques?

Le premier château de Lassay a été construit par le baron de Mayenne à la fin du XIème siècle ou au tout début du XIIème siècle pour résister à la pression de son puissant voisin, le duc de Normandie, dont le père venait de conquérir une partie de la Grande Bretagne.
Au cours de la Guerre de Cent ans, le ralliement aux Anglais du seigneur du lieu, Charles de Vendôme, entraine le démantèlement du château par le roi Charles VII. C’est après la Guerre de Cent ans que son descendant Jean II de Vendôme est autorisé à le reconstruire, à la suite de son mariage avec la veuve de Gilles de Rais, Catherine de Thouars. Le château prend alors sa forme actuelle avec ses huit grosses tours ceinturant une cour polygonale peu étendue.

Au cours des guerres de religions, protestants et catholiques se disputent âprement la possession de cette place-forte d’un grand intérêt stratégique. Le dernier Vendôme, François, étant devenu protestant, Lassay servait de place de sûreté aux huguenots de la région. A sa mort, son neveu Jean II de Ferrières devint seigneur de Lassay. Ce fut l’un des principaux chefs protestants, qui fomenta avec le prince de Condé le complot visant à livrer le Havre aux anglais. Cette entreprise échoua et le roi fit saisir par le futur maréchal de Matignon, alors gouverneur d’Alençon, les deux principaux châteaux des Vendôme dont avait hérité Jean de Ferrières, la Ferté-au-Vidame et surtout Lassay, le plus fortifié. La garnison comptait 40 huguenots et de nombreuses dames et jeunes filles protestantes s’y étaient réfugiées. Matignon avait avec lui environ 1200 hommes et avait fait venir trois canons. Au bout de deux jours de canonnade, le haut du rempart fut écorné mais insuffisamment pour permettre de pénétrer dans le château. La présence des dames réfugiées dans le château amena le capitaine à négocier sa reddition le troisième jour, à la condition que les dames fussent laissées libres d’aller. Il était temps pour les catholiques, car les canons avaient épuisé leurs munitions et le château pouvait tenir longtemps encore. Malgré l’accord conclu, une partie des défenseurs fut passé au fil de l’épée et le château fut pillé.
La forteresse resta ensuite aux mains des catholiques. Assiégée à diverses reprises, notamment en 1571 et en 1574, elle résista victorieusement.
Pendant la Ligue, Lassay, seule place de la région encore sous contrôle du Roi, fut l’objet des assauts répétés des ligueurs. Pour s’en emparer, en 1589, ceux-ci n’hésitèrent pas assassiner le gouverneur du château alors qu’il écoutait la messe dans la chapelle castrale. Ils n’en gagnèrent pas pour autant la forteresse, qui résista encore à plusieurs sièges.
Après 1592, le rôle de Lassay en tant que place-forte était terminé. Le château devint résidence et subit quelques transformations destinées à le rendre plus habitable.
En 1600, la seigneurie de Lassay est attribuée par adjudication à Charlotte du Tillet. Personnage important de la cour d’Henri IV, elle était la maîtresse du duc d’Epernon qui était dans le carrosse du roi lors de son assassinat par Ravaillac. Celui-ci avait séjourné chez elle quelque temps auparavant. A sa mort, son testament sera attaqué et la seigneurie de Lassay mise en adjudication sera reprise par Isaac de Madaillan en 1639.

Surnommé le Don Juan du Grand Siècle,  le 3ème Marquis de Lassay, Armand de Madaillan, a laissé une trace importante. Il était le protégé de Madame de Maintenon, eut pour seconde  femme Marianne Pajot, fille d’apothicaire, si remarquable par sa beauté et son esprit que le duc Charles de Lorraine avait voulu l’épouser. Le jour de la signature du contrat de mariage, Le Tellier, envoyé par Louis XIV, fit sortir Marianne du salon où étaient réunis les familles et le notaire et lui fit part de la décision du roi. Il n’autoriserait le mariage que si Marianne obtenait de Charles de Lorraine qu’il s’engage à céder le duché de Lorraine à la couronne de France à son décès. Si Marianne n’obtenait pas cet abandon, il avait ordre de l’emmener pour l’enfermer dans un couvent. Marianne s’y refusa, ne revint pas dans le salon et suivit Le Tellier qui la conduisit au couvent désigné par le roi. Le jeune Marquis de Lassay, veuf, enflammé par ce beau geste tomba amoureux de Marianne et la persuada de l’épouser.  Cette aventure aurait été connue de Marivaux et lui aurait servi de thème pour son roman « La Vie de Marianne ». Armand partit avec les princes de Conti défendre Vienne contre les Turcs, sans l’autorisation du roi qui ne lui pardonna jamais.

Armand et Marianne eurent un fils, Léon, parfaitement bien fait de sa personne et doué de beaucoup d’esprit. Amant de la Duchesse de Bourbon, fille de Louis XIV et de Madame de Montespan, il fut chargé de superviser pour elle la construction du Palais Bourbon. Il fit en même temps construire par l’architecte Gabriel son propre hôtel, l’Hôtel de Lassay, désormais résidence du président de l’Assemblée Nationale, et fit établir un passage souterrain reliant son hôtel aux appartements de la duchesse. Ce même passage, un peu élargi, est désormais emprunté par le président de l’Assemblée lorsqu’il va présider les séances du Parlement.
Le 5ème marquis de Lassay sera Louis-Félicité de Brancas-Lauragais, neveu de Léon de Madaillan. Proche des milieux de l’Encyclopédie, membre de l’académie des Sciences, il produisit la première porcelaine à pâte dure avec du kaolin de la région d’Alençon. Le Musée de Sèvres en détient quelques pièces. Ami de Lavoisier, il paya les diamants que Lavoisier utilisa pour démontrer que le diamant était du carbone. Sous le directoire, il vendit le marquisat de Lassay au sieur Pierlot, qui le revendit en 1823 au Marquis de Beauchesne, ancêtre des propriétaires actuels.
En 1836, Victor Hugo passant dans la région avec Juliette Drouet, voulut visiter le château de Lassay. Il devait être en étrange tenue car le concierge lui en interdit l’entrée sous en alléguant que son maître lui avait défendu de laisser entrer les mendiants… Le poète a néanmoins réalisé un très beau croquis du château.

Le château de Lassay cessa d’être habité au début du XXème siècle, lorsque le Marquis de Beauchesne,  pour faire retourner la forteresse à sa simplicité médiévale d’origine, ordonna la destruction d’une aile Louis XIV construite par Louis de Madaillan au-dessus de la barbacane. Il supprimait ainsi chambres et salons et rendait le château beaucoup moins facile à habiter. C’est seulement à la fin des années 70 que ses descendants Montalembert, passant outre l’inconfort des lieux, ont repris des travaux d’aménagement de base pour pouvoir y vivre.

Que représente ce château pour vous?

Le maintien et la sauvegarde de Lassay sont pour nous un engagement total dans lequel nous mettons toutes  nos pensées, nos moyens, notre temps. Nous nous en sentons fondamentalement responsables, vis à vis des générations qui nous ont précédé autant que vis à vis des habitants de Lassay, dont c’est un élément d’identité essentiel.

« Un engagement total dans lequel nous mettons toutes  nos pensées, nos moyens, notre temps »

Le château est fragilisé par le temps et demande beaucoup de travaux pour pouvoir passer la génération présente. Dès que nous en avons eu la propriété, nous avons donc lancé de très importantes opérations de restauration, qui doivent se poursuivre sur des années si nous parvenons à en assurer le financement. 

D’après vous, qu’est-ce que « la vie de château » de nos jours?

Une forteresse telle que Lassay n’a pas été conçue pour l’habitation. Ce n’est donc pas un exemple classique de « vie de château ». La structure-même du bâtiment le rend déjà difficilement comparable aux châteaux résidentiels : il est en effet constitué de huit tours indépendantes avec une seule pièce par étage. Pour passer d’une tour à l’autre, il faut donc sortir et traverser la cour. C’est ainsi qu’été comme hiver, nous savons toujours le temps qu’il fait. Nous devons régulièrement prendre un parapluie pour aller nous coucher après le dîner !

« Nous devons régulièrement prendre un parapluie pour aller nous coucher après le dîner ! »

C’est donc finalement une vie très près de la nature, en contact avec la pierre brute et tout un écosystème avec lequel nous cohabitons en bonne intelligence : chauves-souris, araignées, chouettes… En revanche, c’est une lutte de tous les instants contre les pigeons, qui dégradent impitoyablement nos toitures, charpentes et tous les recoins où ils peuvent s’infiltrer.

Qu’organisez-vous au château de Lassay ?

Le château est ouvert à la visite depuis les années 1930. A l’époque, les visiteurs pouvaient se promener librement sur les remparts, au défi de toute sécurité. A présent, les visites sont guidées et permettent d’appréhender à la fois l’histoire et la structure défensive du château.

Nous organisons également des événements et manifestations assez divers, mais toujours en cohérence avec le lieu ou son histoire : reconstitutions historiques, théâtre à ciel ouvert, sports extrêmes (mais oui, en utilisant les murs, les tours, le relief…), concerts, etc. Vous pouvez retrouver le programme sur facebook et dans les événements de notre page.

Vous avez lancé une campagne de crowdfunding sur la plateforme Dartagnans, pouvez-vous nous en dire plus?

La campagne de crowdfunding a été clôturée et fut un succès, son objectif a été dépassé!

Poussés par l’urgence puisqu’une partie de l’ensemble menaçait d’effondrement, nous avons entamé la restauration intégrale du châtelet d’entrée. Ces travaux, considérables, étaient programmés en deux tranches. Une première campagne de financement participatif, Fous de Patrimoine, menée avec le soutien de la fondation VMF, a été couronnée de succès et nous a aidé à financer la première tranche de travaux.

Pour pouvoir réaliser la deuxième tranche et mener l’opération à son terme, les besoins de financements sont à nouveau très importants, c’est pourquoi nous nous sommes tournés vers Dartagnans (plateforme de mécénat participatif). Les 10 000 € fixés comme objectif de cette campagne de crowdfunding permettraient de financer les pierres de taille nécessaires à la restauration du chemin de ronde de la tour Est et du corps central du châtelet. Nous comptons beaucoup sur le soutien du public, sans lequel nos efforts pour Lassay risquent de tourner court !

« Nous comptons beaucoup sur le soutien du public, sans lequel nos efforts pour Lassay risquent de tourner court ! »

Comment pouvons-nous vous aider ?

Vous pouvez nous être d’une grande aide, en élargissant le cercle de sympathie autour de Lassay et en sensibilisant le public à notre action. L’élément qui nous semble essentiel à transmettre est que notre projet n’est pas personnel, mais bien collectif et que tous peuvent s’y impliquer et y participer.

« L’élément qui nous semble essentiel à transmettre est que notre projet n’est pas personnel, mais bien collectif et que tous peuvent s’y impliquer et y participer. »

Merci Cecilia pour cette interview!

Site internet du château de Lassay : http://chateaudelassay.com/, Lien Facebook du château de Lassay :https://www.facebook.com/chateau.lassay/, Profil Twitter: https://twitter.com/ChateaudeLassay/

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